Aller au contenu principal
Blog
  • 21.11.2022

#LesEnseignantsTransforment les écoles qui ont du mal à recruter : une enseignante aide ses élèves à réussir envers et contre tout

« Il y a tellement d’enseignants prêts à redoubler d’efforts, mais ils ne devraient pas avoir à risquer leur vie. Afin qu’ils puissent accéder aux outils dont ils ont besoin pour aider leurs élèves, des dispositifs et des structures de soutien doivent être mis en place. »

Il y a tout juste dix ans, le lycée d’Oke-Odo de Lagos, au Nigeria, était l’un des établissements les moins performants du pays, et l’un des plus difficiles à pourvoir en personnel. Aujourd’hui, les élèves qui y sont inscrits s’illustrent brillamment dans les concours internationaux, et le lycée affiche des taux de réussite aux examens qui en font de lui un modèle à suivre pour les autres établissements. 

Comment ce changement a-t-il été possible ?

Situé dans le district d’Alimosho, le lycée d’Oke-Odo dessert, aux côtés de trois autres établissements d’enseignement secondaire, une communauté défavorisée qui compte plus de 1,3 million de personnes. Il se trouve à quelques kilomètres de deux des marchés les plus importants du pays, et à proximité de l’une des principales décharges de la région. Au premier abord, il peut s’avérer difficile de faire abstraction du bruit, de l’agitation et de l’odeur dégagée par les déchets en décomposition. 

Pourtant, quand Adeola Adefemi a commencé à enseigner dans l’établissement en 2013, elle ne s’est pas attardée sur le décor et a su déceler le potentiel de ses élèves.

« J’ai examiné leur visage, et je me suis dit : “Ce n’est pas leur faute.” L’endroit où ils sont nés ne devrait pas avoir d’incidence sur leur avenir. Je me suis rendu compte à quel point ils étaient résilients, et j’ai su que ma mission était d’amorcer le changement en eux, afin qu’ils puissent transformer leur communauté. »

Le lycée d’Oke-Odo n’est qu’un exemple parmi les milliers d’établissements scolaires dans le monde qui rencontrent des difficultés pour attirer des enseignants qualifiés. Des travaux de recherche menés par le Center for Global Development montrent que les écoles des quartiers pauvres qui obtiennent de mauvais résultats ont du mal à recruter du personnel. Les établissements implantés dans des zones urbaines très défavorisées disposent parfois de fonds discrétionnaires moins importants ou d’équipements plus limités. Cela pose des difficultés récurrentes en matière d’embauche et de rétention du personnel enseignant, notamment en ce qui concerne les professionnels les plus qualifiés.

Donner aux élèves l’occasion de briller

Adeola n’a pas laissé le manque de moyens disponibles dans son établissement faire obstacle à l’exercice de son métier. Bien au contraire, elle a créé plusieurs groupes proposant des activités extrascolaires axées sur la poésie, l’écriture, l’éloquence, l’art du débat et le théâtre au sein du lycée. Elle a ensuite commencé à inscrire ses élèves à des concours interscolaires ou organisés aux niveaux local et national afin de leur donner confiance en eux. 

En moins d’un an, le lycée avait remporté plus de 30 compétitions locales et internationales.

« Dès le tout début, l’une de mes priorités a été de tisser des liens avec mes élèves. Beaucoup d’entre eux vivent dans des conditions très difficiles. Certains sont les principaux soutiens financiers de famille : ils viennent à l’école pendant la journée puis vont travailler au marché le soir.

Je voulais aider mes élèves à croire en eux et à réaliser qu’ils ne sont pas prisonniers de leur milieu. C’est pour cela que j’ai lancé le programme de mentorat Every Child Counts et la campagne Child Not Bride, qui s’appuie sur la poésie et le théâtre pour éveiller les consciences au sujet des risques liés aux mutilations génitales féminines et au mariage d’enfants.

L’une de mes expériences les plus encourageantes a été de voir un élève surmonter son bégaiement et ses difficultés d’apprentissage afin de représenter le Nigeria lors d’un concours organisé au Royaume-Uni », se souvient Adeola. « Il a remporté le concours d’expression écrite ! Aujourd’hui il suit des études pour devenir ingénieur en métallurgie.

Son histoire est très motivante pour moi, mais aussi pour les autres élèves. Imaginez ce que nous pourrions accomplir si nous avions accès à un soutien et des moyens supplémentaires ! »

Les obstacles qui nuisent à l’attractivité des écoles 

Outre le faible salaire accordé aux enseignants, Adeola pense qu’il existe trois obstacles majeurs qui poussent les enseignants qualifiés et passionnés par leur métier à ne pas s’orienter vers des établissements scolaires tels que le lycée d’Oke-Odo. 

« L’un des problèmes principaux tient au fait que les classes sont surchargées. Non seulement il est difficile d’enseigner lorsqu’il y a trop d’élèves dans une classe, mais cela crée aussi du travail supplémentaire. Les enseignants se retrouvent parfois obligés de corriger plus d’un millier de copies par semaine. C’est tout bonnement impossible. »

Adeola est également convaincue que la sécurité constitue un enjeu essentiel pour les écoles qui ont du mal à recruter. 

« Lorsque l’on enseigne dans un établissement comme celui-ci, on fait face quotidiennement à un grand nombre de problèmes sociaux ou liés à la sécurité. Dans des quartiers aussi surpeuplés et défavorisés, il y a beaucoup de violence dans les foyers, et cela s’immisce dans les classes. J’ai déjà aidé plusieurs de mes élèves à signaler des abus sexuels, et il m’a fallu trouver des services adaptés pour les accompagner dans la gestion de leur traumatisme. J’ai également dû rendre visite aux parents d’une jeune fille pour les convaincre de la laisser continuer ses études au lieu de se marier. J’ai été très souvent exposée à des risques, au sein du lycée comme à l’extérieur. »

Adeola considère également qu’il est crucial de fournir un soutien aux enseignants. « Nous avons besoin d’être soutenus pour pouvoir faire notre métier. Nous devons avoir accès tant aux ressources de base, comme les livres et les fournitures de bureau, qu’aux outils numériques, aux structures d’aide sociale et à l’appui des pouvoirs publics.

Nous assumons de lourdes responsabilités envers les apprenants. Notre mission ne se limite pas à enseigner. Nous défendons la cause de nos élèves et les aidons à construire une vie meilleure. Nous avons besoin de savoir que lorsque nous signalons des problèmes, par exemple des cas de viol ou de mariage forcé dans nos classes, ceux-ci seront traités rapidement par les autorités.

« Il y a tellement d’enseignants prêts à redoubler d’efforts, mais ils ne devraient pas avoir à risquer leur vie. Des dispositifs et des structures de soutien doivent être établis afin que nous puissions accéder aux outils dont nous avons besoin pour aider nos élèves. »

Comment attirer davantage d’enseignants vers les écoles qui ont du mal à trouver du personnel ?

Pour contribuer à la résolution des problèmes liés aux surcharges de classes et au manque de soutien, des financements publics supplémentaires peuvent être alloués aux établissements scolaires des zones les plus pauvres en vue de les aider à accroître leurs effectifs d’enseignants, à construire des salles de classe supplémentaires et à mettre en place de nouvelles structures d’appui. 

La recherche montre que dans les pays à faible revenu, la part des ressources de l’enseignement public destinée aux enfants les plus pauvres ne s’élève qu’à 10 %, alors que cette proportion s’élève à 38 % pour les enfants les plus favorisés. Les pouvoirs publics doivent adopter des politiques d’affectation des ressources expressément destinées aux enfants les plus vulnérables. 

La boîte à outils, élaborée par l’Institut international de planification de l’éducation à l’intention des enseignants, souligne les difficultés rencontrées pour attirer le personnel enseignant féminin et assurer sa sécurité. Pour qu’il soit possible de créer des espaces d’enseignement et d’apprentissage protégés au sein des écoles, les politiques scolaires doivent s’attaquer à la violence liée au genre, encourager la création d’un réseau permettant aux enseignants de se soutenir mutuellement, et prévoir des programmes de mentorat. 

La réussite des élèves d’Adeola prouve que les enseignants qui se passionnent pour leur métier peuvent contribuer à transformer la vie des apprenants et de leur communauté. Il convient toutefois de se demander combien d’enfants supplémentaires pourraient voir leur vie s’améliorer si l’on mobilisait davantage de moyens pour répondre aux besoins des enseignants dans les écoles connaissant des difficultés de recrutement.

« Je pense que le souhait le plus cher de chaque enseignant est de bénéficier d’un soutien : celui des autres membres de la profession, de la direction de son établissement, des parents, de la communauté, et des pouvoirs publics. Nous avons besoin de savoir que nous ne sommes pas seuls. »

Pour en savoir plus :

Crédit photo : Adeola Adefemi

Blog
  • 08.11.2022

Comment remédier à la pénurie d’enseignants dans le monde ?

This blog has originally been published on 17 October 2022, on the Global Partnership for Education website


En ce début d’année scolaire dans nombre de pays, les médias font état d'une pénurie d'enseignants, les éducateurs les plus dévoués et les plus passionnés se lassant du manque de soutien, de ressources et de reconnaissance à leur égard. Un nouveau rapport examine les tendances dans la profession enseignante dans le monde et formule des recommandations pour améliorer la situation.

Selon les derniers calculs effectués par l’Équipe spéciale internationale sur les Enseignants pour Éducation 2030 et l'UNESCO, publiés à l'occasion de la Journée mondiale des enseignants, des données récentes montrent que l'Afrique subsaharienne à elle seule devrait recruter 16,5 millions d'enseignants supplémentaires pour atteindre les objectifs d'éducation d'ici 2030.

Cela signifie que 5,4 millions de nouveaux enseignants sont nécessaires dans le primaire et 11,1 millions dans le secondaire, pour pouvoir répondre aux besoins de la population croissante d'âge scolaire dans la région et limiter le nombre croissant d'enfants non scolarisés.

Les pays de la région du Sahel, notamment les pays comme le Niger et le Tchad, sont dans une situation particulièrement critique et doivent doubler leurs effectifs d'enseignants du primaire pour atteindre ces objectifs.

En Asie du Sud, malgré des progrès dans certains pays, on note tout de même un déficit substantiel de 7 millions d'enseignants : 1,7 million d'enseignants seront nécessaires dans le primaire et 5,3 millions dans le secondaire. Il s'agit néanmoins d'une réduction considérable par rapport aux projections antérieures.

La faible projection concernant les enseignants du primaire peut être attribuée aux progrès en matière d'éducation primaire universelle au Bangladesh et en Inde, ainsi qu'à la baisse des taux de natalité.

Ailleurs dans la région, en Afghanistan et au Pakistan par exemple, le taux de croissance annuel des enseignants du primaire devrait augmenter d'environ 50 % ou de plus de 10 % par an pour parvenir à l'éducation primaire universelle d'ici 2030.

Les pénuries d'enseignants ne concernent pas uniquement le monde en développement. Elles touchent également des pays comme l'Australie, la Chine, l'Estonie, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, le Japon, la Malaisie, les Pays-Bas et bien d'autres.

La COVID-19 n'a fait qu'exacerber la crise actuelle du recrutement des enseignants

La pandémie de COVID-19 est en partie responsable de ce problème : leur santé fragile et le stress lié à la pandémie ayant poussé nombre d’enseignants à démissionner. Cependant, nous savons que la COVID-19 n'était que le point de basculement et n’a fait qu’aggraver une situation déjà problématique avant la pandémie.

Les enseignants quittant la profession – l'attrition des enseignants – est une préoccupation majeure à laquelle est confrontée la profession et qui a de sérieuses répercussions sur l'apprentissage.

Un article (en anglais) du Guardian rapporte que 44 % des enseignants en Angleterre envisagent de démissionner au cours des cinq prochaines années, la plupart blâmant leur lourde charge de travail. Une enquête (en anglais) auprès de 8 600 enseignants en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, a également révélé que plus de la moitié des enseignants interrogés envisageaient de quitter la profession dans les cinq prochaines années.

L'attrition des enseignants a de nombreuses causes, notamment un manque d'incitations financières, de mauvaises conditions de travail, des charges de travail élevées, un manque de préparation, une faible autonomie, un soutien administratif inadéquat, des salles de classe mal conçues et un manque de ressources pédagogiques.

L'émigration à la recherche de meilleures opportunités est également une cause d'attrition. En France, une étude récente a révélé que, dans les années 1980, un enseignant débutant gagnait 2,3 fois le salaire minimum. Aujourd'hui, cela équivaut à seulement 1,2 fois le salaire minimum.

Dans les régions mal desservies et les contextes de crise, les conditions d'enseignement déjà difficiles sont aggravées par un manque de qualifications et d'opportunités de développement professionnel pour les enseignants ; et par des méthodes inéquitables de déploiement qui consistent à affecter les enseignants les moins qualifiés et les moins expérimentés dans les régions où les meilleurs sont nécessaires.

Une action urgente est nécessaire pour résoudre cette crise

Certains pays mettent en œuvre des solutions à court terme en s'attaquant aux symptômes plutôt qu'aux causes de ces démissions d'enseignants. Certaines écoles aux États-Unis d'Amérique (en anglais) proposent aux élèves de suivre deux cours de la même matière en une année et augmentent la charge de travail des enseignants laissés de côté, tandis que d'autres réduisent les niveaux d’exigence (en anglais) et emploient des enseignants moins qualifiés.

Pendant ce temps, certains pays adoptent des stratégies de recrutement controversées, notamment le recours accru à des enseignants contractuels. En Italie, par exemple, où les enseignants sont en moyenne parmi les plus âgés de la région, 150 000 postes d'enseignants ont déjà été pourvus par des enseignants contractuels.

Pour aider à inverser cette tendance et apporter une solution à cette crise mondiale, les auteurs de cette étude, conformément aux récentes consultations mondiales organisées dans le cadre du Sommet sur la Transformation de l'éducation, recommandent aux gouvernements de :

  • Améliorer le statut professionnel et social des enseignants pour attirer davantage de personnes dans la profession, notamment en renforçant le dialogue social et la participation des enseignants à la prise des décisions relatives à l'éducation ;
  • Formuler et mettre en œuvre des politiques enseignantes qui calculent et chiffrent les besoins d'expansion du personnel enseignant et intègrent progressivement les enseignants contractuels dans la fonction publique, tout en améliorant les conditions contractuelles ;
  • Améliorer le financement des enseignants grâce à des stratégies nationales de réforme intégrées et à une gouvernance efficace, en allouant 4 à 6 % du PIB ou 15 à 20 % des dépenses publiques à l'éducation ;
  • Veiller à ce que les salaires des enseignants soient compétitifs comparés à ceux d'autres professions exigeant des niveaux de qualification similaires ; et inclure des incitations à rester dans la profession en fonction de l'expérience et des qualifications, tout en leur offrant des possibilités de mobilité verticale et horizontale tout au long de leur carrière ;
  • Promouvoir l'égalité des genres dans la profession enseignante et lutter contre les préjugés sexistes à différents niveaux d'éducation et spécialisations, en aidant les femmes à assumer des rôles de leadership ;
  • Développer des processus de qualification et d'accréditation plus flexibles qui permettent de multiples points d'entrée pour attirer des candidats supplémentaires dans la profession tout en maintenant des normes de qualité.

Téléchargez le document ici.

Crédit photo : GPE/Kelley Lynch. M. Ibrahim, psychologue à l'Ecole Normale Saâdou Galadima de Niamey au Niger, avec des élèves professeurs.