Ce blog a été rédigé par David Childress, consultant principal pour le premier Rapport mondial sur les enseignants lancé lors du 14e Forum de dialogue politique, le 26 février 2024.
Les enseignants sont au cœur de l’offre d’une éducation de qualité pour tous les élèves. Pourtant, partout dans le monde, les systèmes continuent de faire face à des pénuries et luttent pour attirer et retenir un nombre suffisant d’enseignants. De nouvelles projections indiquent que 44 millions d’enseignants supplémentaires sont nécessaires dans le monde pour atteindre l’objectif de l’enseignement primaire et secondaire universel à l’horizon 2030. Il est encourageant de constater que ce chiffre marque une baisse significative par rapport aux 69 millions d’enseignants prévus par l’Institut de statistique de l’UNESCO en 2016. Cependant, le déficit actuel reste inférieur de moitié à la taille du corps enseignant existant. Certaines régions restent également confrontées à d’importantes pénuries, l’Afrique subsaharienne ayant besoin de 15 millions d’enseignants supplémentaires d’ici à 2030, soit environ un tiers de l’ensemble des enseignants nécessaires au niveau mondial.
Pour contribuer à relever le défi mondial des pénuries, le Rapport mondial sur les enseignants vise à aider la communauté internationale à progresser dans la réalisation de l’ODD 4 d’assurer une éducation de qualité inclusive et équitable pour tous. Dans un premier temps, le rapport présente de nouvelles projections et une analyse approfondie afin de situer clairement le contexte des pénuries globales d’enseignants. Sur la base de cette analyse, le rapport propose ensuite des solutions politiques et des stratégies de mise en œuvre pour inverser ces tendances.
Dans l’ensemble, le Rapport mondial sur les enseignants s’aligne sur les recommandations et les six impératifs du Groupe de haut niveau sur la profession enseignante pour l’avenir de l’enseignement : humanité, durabilité, dignité, qualité des enseignants, innovation et leadership, et équité. Il se joint également aux appels lancés par la Commission internationale sur les futurs de l’éducation et du Sommet sur la transformation de l’éducation 2022 visant à valoriser et à diversifier l’enseignement, en le transformant en une profession plus collaborative et innovante.
Placer les pénuries d’enseignants dans le contexte mondial
Les pénuries globales d’enseignants résultent de la combinaison de l’attrition des enseignants et de la nécessité de pourvoir les postes d’enseignants nouvellement créés. L’attrition des enseignants, c’est-à-dire le nombre de personnes qui quittent la profession au cours d’une année, représente 58 % des besoins en enseignants prévus d’ici à 2030. Des estimations récentes ont également montré que les taux d’attrition des enseignants sont en hausse, les moyennes mondiales pour les enseignants du primaire ayant presque doublé entre 2015 et 2022, passant de 4,62 à 9,06 %.
D’autre part, les régions dont la population augmente rapidement présentent les taux les plus élevés de pénuries prévues en raison de la création de nouveaux postes d’enseignants (voir tableau 1). Les systèmes dont la population d’âge scolaire augmente doivent alors s’efforcer de conserver les enseignants dont ils disposent tout en augmentant le recrutement pour répondre aux besoins croissants. Cela s’avère particulièrement important pour les écoles secondaires, car 31 millions d’enseignants, soit environ 7 sur 10, sont nécessaires à ce niveau d’ici à 2030.
Tableau 1 : Besoins totaux de recrutement d’enseignants par région pour 2030, par niveau (en milliers)
Note: m = données manquantes ; les chiffres relatifs aux enseignants correspondent à 2022, à l’exception de l’Asie du Sud-Est qui correspond à 2021, et de l’Océanie qui correspond à 2017.
L’ODD 4 reste un objectif ambitieux, mais les pays ont également établi des critères de référence nationaux pour définir leurs propres objectifs en fonction du contexte, du point de départ et du rythme des progrès. Ces critères permettent de prévoir les besoins en enseignants sur la base des 84 millions d’enfants estimés (soit environ 5 %) qui ne seront toujours pas scolarisés en 2030. Les projections basées sur les références nationales réduisent le nombre d’enseignants nécessaires au niveau mondial d’environ 5 % dans le primaire (12,3 millions contre près de 13 millions) et d’environ 12 % dans le secondaire (27,5 millions contre 31,1 millions). Tout en restant ambitieux, ces critères peuvent offrir à certains pays des objectifs plus réalisables.
Les multiples défis liés aux pénuries d’enseignants
Les causes des pénuries d’enseignants sont complexes et résultent d’une combinaison de facteurs tels que la motivation, le recrutement, la formation, les conditions de travail et même le statut social. Des salaires peu attrayants et des conditions de travail difficiles peuvent rendre l’enseignement peu attrayant pour les futurs enseignants et les enseignants actuels, ce qui entraîne des pénuries dans les pays à tous les niveaux de revenus. A titre d’exemple, les résultats de TALIS 2018 ont montré que dans les pays participants, seuls 67 % des enseignants ont déclaré que l’enseignement était leur premier choix de carrière.
Les pénuries d’enseignants peuvent avoir des conséquences très diverses. Des taux élevés d’attrition peuvent avoir un impact direct sur les étudiants. Des recherches ont montré que l’expérience améliore les performances des enseignants en ce qui concerne les résultats des tests, les absences et le comportement en classe. Les écoles qui connaissent des niveaux élevés de pénurie sont également confrontées à des perturbations permanentes et à des demandes supplémentaires tout au long de l’année, dans la mesure où elles cherchent à recruter et à former de nouveaux collègues. Des cercles vicieux peuvent apparaître dans les systèmes où les départs sont nombreux et où les systèmes peinent à former et à déployer constamment de nouveaux enseignants.
Stratégies pour transformer l’enseignement et réduire les pénuries
Des politiques efficaces pour remédier aux pénuries d’enseignants devraient faire partie d’une stratégie globale visant à améliorer le statut et l’attrait de la profession. Dans un premier temps, les systèmes doivent verser un salaire adéquat aux enseignants. Au niveau mondial, la moitié des pays rémunèrent les enseignants du primaire moins bien que les professions exigeant des qualifications similaires, alors que cette proportion est réduite à 3 pays sur 10 en Europe et en Amérique du Nord. Les systèmes devraient également s’efforcer d’améliorer les conditions de travail par le biais de politiques qui réglementent les heures de travail ou impliquent les enseignants dans davantage de processus de prise de décision.
Pour continuer à rehausser le prestige de l’enseignement, les systèmes doivent trouver et recruter les bons candidats qui sont attirés par l’enseignement en tant que vocation. Les effectifs doivent également refléter la diversité des communautés qu’ils servent. Le développement de l’égalité entre les hommes et les femmes est particulièrement important, car les femmes sont souvent sous-représentées dans les fonctions de direction tandis que les hommes sont moins nombreux à travailler aux niveaux d’éducation inférieurs.
La professionnalisation de la carrière d’enseignant peut encore en accroître le prestige et améliorer la motivation des enseignants. Ce processus peut commencer par la mise en place de cadres de qualification appropriés et de possibilités pour tous les enseignants, en particulier ceux qui travaillent sur la base de contrats temporaires. Par exemple, les efforts déployés au Mexique et en Indonésie ont intégré un grand nombre d’enseignants contractuels dans des postes de fonctionnaires. En proposant des parcours de carrière attrayants et l’accès à une évolution professionnelle de qualité, les systèmes peuvent également mieux motiver les enseignants tout au long de leur vie professionnelle.
L’élaboration d’un nouveau contrat social pour l’éducation pourrait servir de pivot pour rehausser le prestige de l’enseignement à l’avenir. Ce processus consiste à créer des opportunités de collaboration, intégrer le dialogue social et promouvoir l’innovation chez les enseignants. Ces stratégies permettent aux enseignants de mieux faire entendre leur voix dans leur profession, tout en créant davantage de communautés de pratique aux niveaux local, national, voire international.
Financement de la profession enseignante et promotion de la coopération internationale
Un financement adéquat de l’éducation est essentiel pour lutter contre les pénuries d’enseignants, car la majeure partie des budgets de l’éducation est généralement consacrée aux salaires des enseignants. Les dépenses consacrées aux enseignants peuvent atteindre jusqu’à 75 % des budgets dans les pays à faible revenu. Le Cadre d’action Éducation 2030 a fixé des objectifs de financement pour les gouvernements de 4 à 6 % du PIB et de 15 à 20 % des dépenses publiques allouées à l’éducation. Les moyennes mondiales pour les dépenses d’éducation étaient de 4,2 % du PIB en 2021. Toutefois, des écarts importants subsistent entre les groupes de revenus des pays, allant de 5 % dans les pays à revenu élevé en 2021 (dernière année pour laquelle des données sont disponibles) à 3,1 % dans les pays à faible revenu en 2022.
La coopération internationale peut jouer un rôle clé dans la lutte contre les disparités en matière de dépenses et, plus généralement, dans la réduction des pénuries globales d’enseignants. Les partenaires de l’aide internationale peuvent soutenir les politiques relatives aux enseignants en collaboration avec les gouvernements en proposant des financements, des formations ou des actions de sensibilisation. La coopération est également plus fréquente dans le cadre de la coopération Sud-Sud ou la coopération triangulaire, les pays du Sud peuvent mettre en commun et partager leurs ressources afin de renforcer leurs capacités et de développer leur autosuffisance.
Sur la base de ses analyses et de ses nouvelles conclusions, le Rapport propose six recommandations clés pour répondre aux pénuries globales d’enseignants et transformer la profession, garantir un nombre suffisant d’enseignants pour atteindre les objectifs de l’éducation universelle, accélérer la réalisation de l’ODD 4 et de la cible 4.c, et faire progresser l’Agenda Éducation 2030.
Liens :
- Lire le Rapport mondial sur les enseignants : répondre aux pénuries d’enseignants et transformer la profession
- Visitez la page du 14e Forum de dialogue politique
Crédits de couverture du rapport :
© UNESCO/Ilan Godfrey; © UNESCO/Santiago Serrano; © UNESCO/Erika Piñeros; © UNESCO/Nadège Mazars; © UNESCO/Rehab Eldalil; © UNESCO/Anatolii Stepanov